Échos des Mégalithes : le mystère des alignements – épisode 2
Second épisode d’une série d’articles, dont l’objet sera de vous présenter les coulisses de la création d’un ouvrage de photos d’art sur les alignements mégalithiques de Carnac et du Morbihan sud, pour lequel j’ai eu l’honneur d’être sollicité.
Les anciens vestiges fascinent. Que l’on parle de pyramides, des lignes Nazca, des Moaï de l’île de Pâques, des murs cyclopéens de l’Amérique centrale ou des alignements mégalithiques, bien que les époques varient considérablement, tout ce qui fait écho à notre passé résonne en nous et fait vibrer la corde prolifique de notre imagination.
Pourquoi ?
Je pense que la réponse tient à la démesure avec laquelle nos ancêtres ont métamorphosé le paysage qui les entourait et au fait, qu’au fond, on ne sait pas grand chose d’eux.
Les Alignements de Carnac
Lorsque nous sommes face aux alignements mégalithiques de Carnac, et que nous contemplons ces files de pierres dressées, nous sommes saisis par une question, une seule question qui se résume à un simple : pourquoi ?
Pourquoi ces hommes du néolithique se sont donné autant de mal pour dresser autant de pierres, formant ces lignes minérales monumentales qui serpentent le long des plaines ?
Au nom de quelle cause, de quelle idéologie, de quelle croyance, des générations entières se sont succédées pour ériger des milliers de pierres sur un territoire qui couvrait, d’un bout à l’autre, une trentaine de kilomètres.
A Carnac, on compte aujourd’hui près de 3000 menhirs dressés ou couchés. Ce chiffre est véritablement impressionnant, mais il est infime par rapport à ce qu’il était à l’origine. Si l’on comptabilise l’ensemble des vestiges mégalithiques qui couvrent le territoire proche de Carnac, le chiffre s’envole et nous atteignons les quelques 12500 monuments. Sans doute même plus, car un certain nombre n’ont pas été encore découverts. Mais encore une fois, ce n’est rien par rapport à ce qu’était Carnac et ses environs du Morbihan sud à l’époque néolithique.
Au fil des âges, l’homme a réutilisé ces pierres pour construire ses habitations, les enclos pour ses bêtes ; les pierres ont été délogées, brisées, retaillées et, pour les plus chanceuses, repositionnées. Elles ont disparu complètement des alignements et jouent aujourd’hui à cache-cache avec notre regard. Il est amusant de les retrouver parfois intégrées dans les murailles de quelques enclos, ou carrément dans les murs de vieilles maisons. Des villages entiers ont été ainsi érigés. On les reconnait bien ces maisons, elles ont toutes cette couleur et texture infalsifiables des menhirs…
Il n’y a pas longtemps encore, un entrepreneur local a répondu à un appel d’offres pour la rénovation d’un phare dans le Finistère. L’ayant emporté, il a acheté un terrain sur lequel il y avait des files encore intactes, avec l’intention d’utiliser les pierres pour ce projet. Il n’en reste aujourd’hui plus que quelques unes encore debout, celles du Petit Ménec.
Heureusement, il y a eu une prise de conscience. Une prise de conscience et, avant elle, …la superstition.
Car, si aujourd’hui nous pouvons contempler encore ces alignements, c’est bien grâce aux superstitions ancrées dans l’inconscient collectif des habitants vivant dans cette région. Dans les vieux contes et légendes, ces pierres n’avaient pas bonne presse. On y était censé faire de très mauvaises rencontres et il ne fallait pas s’y aventurer la nuit, sous aucun prétexte. Les pierres servaient de terrain de jeu à des âmes damnées, à des esprits qui ne vous voulaient pas du bien. Seuls les plus intrépides prélevaient alors quelques pierres par ci et par là pour les utiliser comme matériaux de construction.
Finalement, c’est grâce à ces tabous que nous pouvons encore les contempler.
La prise de conscience, elle, n’a pas été sans mal. Encore très récemment, l’État avait conçu un projet pour murer les alignements, afin de transformer ce patrimoine unique en un sordide parc d’attraction, bien lucratif. Des Carnacois s’y sont opposé farouchement et grâce à leur mobilisation, les menhirs peuvent être admirés et visités librement.
Patrimoine mondial de l’UNESCO
Aujourd’hui, les pouvoirs publics mesurent à sa juste valeur ce trésor mégalithique unique au monde. En 2014, Paysage de Mégalithes, a initié la démarche de la reconnaissance des vestiges mégalithiques de Carnac et des rives du Morbihan au rang de Patrimoine mondial auprès de l’UNESCO. Cette inscription fédère 27 communes, le Conseil départemental du Morbihan, deux Établissements Publics de Coopération Intercommunale, le Centre des Monuments Nationaux, le Conservatoire du Littoral, la Région Bretagne, de nombreuses associations et des communes associées, notamment Carnac, Vannes et Auray.
Source image : Paysage de Mégalithes
Le périmètre de ce classement concerne quatre aires et le choix des sites a été un véritable casse-tête. Pour paraphraser le site de Paysage de Mégalithes qui porte ce dossier : Ce sont plusieurs éléments qu’il faut prendre en compte pour comprendre tout l’intérêt du territoire :
- l’ancienneté des sites,
- la quantité de monuments,
- la diversité des structures représentées dont certaines ne se retrouvent nulle part ailleurs (dolmen coudés),
- la monumentalité des trois tumuli exceptionnels dits « carnacéens » (Mané er Hroeck, Mont-Saint-Michel et Tumiac),
- la singularité et l’abondance des gravures retrouvées sur les dalles (à Gavrinis par exemple),
- la richesse archéologique des objets qui ont été trouvés dans les sites – on parle alors de dépôts funéraires – ou enfouis à des endroits stratégiques du territoire.
Un tel engouement prouve bien que notre société a changé de regard sur ce legs hors normes. Aujourd’hui, le dossier entre dans sa phase finale et tous les curseurs sont au vert pour une inscription au titre de Patrimoine mondial, avec une échéance possible à l’horizon 2024/2026.
Dans le cadre des inscriptions de Biens à l’UNESCO, les dossiers sont accompagnés de publications scientifiques et, parfois, d’ouvrages destinés à un plus large public. C’est aussi le cas pour le patrimoine mégalithique du Morbihan sud. Je suis particulièrement fier de contribuer à ma modeste manière à cette magnifique aventure par l’ouvrage de photos d’art sur lequel je travaille – pour plus de précisions, voir l’article précédent : Échos des Mégalithes : les coulisses du livre – épisode 1.
Aujourd’hui, le périmètre de ce classement couvre près de 1000 sites. Il est évident qu’il sera impossible de tous les photographier, d’autant que, beaucoup d’entre eux n’ont qu’un intérêt scientifique et archéologique, et très peu d’intérêt artistique. Beaucoup de vestiges sont méconnaissables et impossibles de distinguer dans le paysage par un œil profane. On est très loin du côté spectaculaire des alignements de Carnac ou d’Erdeven.
La submersion et l’érosion des vestiges
Beaucoup d’élément mégalithiques ont disparu définitivement dans les flots du Golfe du Morbihan lequel, à l’époque de leur érection, avait un tout autre visage qu’aujourd’hui. L’océan se situait à environ sept kilomètres de là et les îles d’aujourd’hui ne sont plus que les sommet de quelques collines d’autrefois.
Les scientifiques m’ont parlé d’un phénomène qui n’est pas sans rappeler notre situation actuelle : celui de la montée des eaux. En effet, les peuples qui sont à l’origine de ces alignements mégalithiques ont connu un épisode de montée des eaux qui a été particulièrement brutal et qui s’est opéré en l’espace d’une seule génération. De la même manière, il semblerait que nous et nos enfants seront parmi les dernières générations à contempler ces vestiges, sauf si nous nous trompons sur les prévisions climatiques, ce qui est à espérer.
Ce jeu de cache-cache avec les mégalithes pose un problème de taille auquel je suis confronté : tenter d’immortaliser les derniers rescapés de la submersion ou de l’érosion. L’océan a emporté définitivement avec lui des trésors inestimables. Les fouilles sous-marines ont révélées près de 250 menhirs submergés dans le golfe, pour la plupart, à peine reconnaissables. Il est fort à parier que ce chiffre est infime par rapport à ce qui a été englouti.
Il y a quelques jours à peine je me suis rendu sur le site des alignements de Kerbourgnec, à proximité de Quiberon, avec la ferme intention de les immortaliser. Je savais qu’il fallait un œil affuté pour trouver les menhirs submergés, discernables uniquement à marée basse. La marée était pourtant très basse et je ne les ai jamais trouvé. Interrogée sur place, une habitante du coin, m’a confiée qu’elle les cherche depuis des années, y compris durant les grandes marées d’équinoxe… sans résultat. J’ai prévu de revenir sur place avec une archéologue, je ne veux pas déclarer forfait.
En arrière de ces alignements engloutis, encastrés entre les maison, on peut contempler encore quelques magnifiques spécimens, dont certains arborent fièrement des formes particulièrement photogéniques. Ils semblent terminer cette file de menhirs fantômes qui commence quelque part, au large de la plage toute proche.
Un autre problème de taille, ennemi des mégalithes, c’est l’érosion.
Ce phénomène naturel participe à compliquer la préservation de ces vieilles pierres. Le vent, la pluie et le sol, particulièrement acide dans le Morbihan sud, attaquent les monuments ne leur laissant aucune chance. Certains archéologues supposent que les mégalithes pouvaient être décoré de gravures. On retrouve encore quelques traces, notamment sur la Table des Marchands et sur le grand menhir brisé à Locmariaquer, ou à Gavrinis…
Dans les alignement de Carnac, et plus particulièrement dans l’alignement du Manio, il y a un menhir qui domine les autres. A sa base, il y a une ancienne gravure représentant un serpent. On peut l’apercevoir par une ouverture qui a été aménagée à sa base (en fait, il y a deux ouvertures, c’est par celle à l’arrière du menhir que l’on distingue le serpent). Il est intéressant de noter que l’utilisation du symbole de serpent est un trait universel chez l’Homme, quelle que soit l’époque ou la position géographique.
Combien de ces symboles gravés jadis ont disparu de ces pierres à jamais ?
Il en est de même avec les sépultures. L’acidité du sol digère les restes humains et peu sont parvenus jusqu’à notre époque. Si le prince du Tumulus Saint-Michel à Carnac (on y reviendra en détails dans un prochain article), a été une exception, on ne peut pas en dire autant des autres tombeaux qui sont mis à jour vides de leurs occupants.
Les quelques squelettes préservés ont permis d’étudier ces lointains ancêtres et, dès le prochain épisode, nous allons plonger définitivement dans le secret de ces mystérieux bâtisseurs.
A la semaine prochaine.
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